Le professeur Modeste Bahati Lukwebo, ancien ministre de Joseph Kabila, avec son regroupement l’AFDC-A, a été parmi les premiers à rallier le président Tshisekedi. Il fait aujourd’hui partie des personnalités que l’on dit susceptibles d’occuper le poste de Premier ministre. Il est notre invité.

RFI : Est-ce que 391 députés pour une nouvelle majorité ça ne fait pas un peu trop ?
Modeste Bahati Lukwebo : Non, mais c’est la réalité. Nous avons pris les précautions pour que chaque député en s’engageant et en adhérant à l’Union sacrée de la nation signent une fiche individuelle. Et donc, c’est au vu du dépouillement de ces fiches que nous arrivons à ce nombre de 391.
Pourtant au sein du FCC, des personnalités comme Félix Kabange Numbi disent que, par exemple, vous avez mis tous les noms de son regroupement alors que plusieurs des députés, ou la moitié des députés, est encore avec lui.
Je crois que c’est à lui d’apporter la justification contraire. Moi, je reçois ceux qui engagent le regroupement, et ils me transmettent la liste ainsi que les fiches. C’est vrai que dans certain regroupement comme le sien AAB, il peut y avoir quatre, cinq personnes qui n’ont pas accepté de venir à l’Union sacrée de la nation.
Justement, le principe même des fiches individuelles, pourquoi on en est venu à ce système-là ? Pourquoi on n’a pas gardé les regroupements, les partis politiques comme ça se faisait auparavant, puisque certains reprochent à ce système d’être source d’un débauchage facile ?
Non. Il y a deux modèles de fiche. Comme vous voyez, nous avons une fiche d’adhésion pour le parti et le regroupement. Cette fiche-là, elle est signée par le responsable qui est mandaté pour le faire, comme ça il n’y a pas de débauchage. Et la fiche individuelle de consentement de chaque député. Il y a d’un côté ceux qui viennent dans le cadre de leur regroupement, mais à cela s’ajoute quelques individualités. Donc, les individualités qui viennent, nous ne pouvons pas les refuser, elles signent des fiches.
Il y a quand même des divisions, on les voit. On le voit au sein du FCC, on le voit au sein de Lamuka, on le voit à différents niveaux, différents regroupements politiques.
Il faut aussi noter que ce que nous sommes en train de vivre, c’est un ras-le-bol en fait, c’est une révolution pacifique, une révolution démocratique. Les gens veulent que les choses changent tout simplement.
Justement, vous faisiez partie de l’ancienne majorité, comment vous expliquez que le FCC ait perdu le contrôle sur autant de députés ?
C’est justement le fait qu’on ne voulait pas écouter les gens. Les gens à un moment donné, ils en avaient marre, ils ont dit non-non, nous ne pouvons pas continuer avec ce système. Nous avons choisi d’évoluer ensemble, il y a une charte qui nous régit, mais on ne la respecte pas. Lorsqu’il s’agit de poids politique, on ne la respecte pas, même des critères de solidarité, on ne la respecte pas. Lorsqu’il s’agit de consulter les gens avant de prendre une décision, on ne le fait pas. Il fallait s’attendre à ce qu’un jour ça barde, et voilà ce jour-là est arrivé. L’AFDC-A (ndlr : regroupement politique dont Modeste Bahati Lukwebo est l’autorité morale) avait déjà donné de la voix pour dire ce n’est pas normal qu’on ne puisse pas nous écouter. On nous a imposé une ligne de conduite, pendant des années on a accepté, mais à un moment donné, on a dit non, basta, et nous devons nous-mêmes assumer quel que soit les conséquences. Et les conséquences ont été vraiment très fâcheuses, jusqu’à être traqués, jusqu’à être poursuivis, jusqu’à nous priver de nos droits et notamment la participation à la gestion de l’État, parce que ça ne peut pas s’expliquer autrement. Lorsqu’on voit l’engouement avec lequel les gens viennent adhérer à l’Union sacrée de la nation, on peut considérer que c’est une sorte de libération. Les gens se sentent maintenant libres de pouvoir exprimer leurs ambitions, tout comme nous respectons ceux qui ont choisi de rester au FCC, c’est aussi leur liberté.
Qui est responsable ? Est-ce que c’est Néhémie Mwilanya, qui était le coordonnateur du FCC, ou est-ce que c’est Joseph Kabila lui-même ?
Je crois qu’il ne me revient pas de répondre à cette question. Vous avez suivi toutes les déclarations. En fait, cette révolution est partie du FCC, dans son sein.
Vous dites qu’il y a une adhésion, que cela correspond à une envie, mais du côté du FCC, on dit notamment que c’est aussi le fait de la corruption. Qu’est-ce que vous répondez à ce type d’accusation ?
Ça se sont des prétextes. Qui peut apporter la moindre preuve qu’un des députés a reçu un dollar pour pouvoir voter pour la motion ? Pourtant, c’était un vote très significatif, un vote de 367 pour la motion sur 377 participants dans une Assemblée de 500, vous comprenez que c’est vraiment un carton rouge. On ne peut pas dire que c’est pour de l’argent que toutes ces grandes personnalités sont en train de s’engager dans l’Union sacrée de la nation.
Si ce n’est pas dans un intérêt d’argent ou les postes que cette Union sacrée s’est formée, à votre avis, au vu du nombre de regroupements et au vu des équilibres politiques, il faudrait combien de ministres dans ce futur gouvernement d’Union sacrée ?
Si ça ne dépendait que de moi, je crois que le chef de l’État l’a dit lorsqu’il a reçu les chefs des regroupements, il voudrait que l’on réduise sensiblement la taille du gouvernement. Donc, on ne peut plus s’attendre à ce qu’on ait un gouvernement de 65 membres comme c’est le cas aujourd’hui. Mais même quand on forme un gouvernement éléphantesque, cela n’exclut pas qu’il y ait toujours des mécontentements. Et donc à certain moment, ce qui est important, c’est que chaque province soit représentée et que l’on tienne compte du genre, des personnes vivant avec un handicap, que la jeunesse soit représentée et que tous se mettent au service du peuple. Je crois que c’est cela qui compte.
Donc une trentaine de ministres ?
Une trentaine, quelques vice-ministres, en tout cas aux alentours de 45.
Donc si vous êtes Premier ministre demain, on n’aura pas un gouvernement qui dépassera les 45 membres ?
Je ne le suis pas pour aujourd’hui, donc je ne peux pas répondre à cette question, mais ça c’est un souhait que j’émets en tant qu’acteur politique et je l’ai aussi entendu de la bouche de plusieurs acteurs. Ils estiment que le train de vie des institutions doit être vraiment totalement réduit, ce n’est pas seulement au niveau du gouvernement, mais de toutes les institutions politiques.
Est-ce que vous pensez que vous pourrez être Premier ministre ? Est-ce que le poste vous intéresse ?
Le poste m’intéressait. Moi, je me suis engagé à servir mon peuple et mon pays, et donc je travaille si on m’appelle à une fonction, je vais l’assumer, mais pour le moment, je ne suis pas candidat. D’ailleurs, il n’existe pas de candidature à la primature. Le poste de Premier ministre, c’est un poste qui est géré exclusivement par le chef de l’État, c’est lui qui apprécie qui il peut désigner comme Premier ministre, bien sûr en respectant les prescrits de la Constitution, il choisira un Premier ministre au sein de la majorité parlementaire.
Que représente le FCC, ou les transfuges du FCC, et l’opposition dans cette Union sacrée ?
En terme de pourcentage, je peux dire que les deux tiers viennent du FCC et le reste, ce sont les forces politiques autres que le FCC.
Comment vous pouvez espérer une gestion différente avec en gros la même majorité, ou une grande partie de la même majorité ?
Tout est possible, parce que si l’impulsion vient de la tête, les choses peuvent changer et elles changeront.
On attend cette semaine l’élection des membres du bureau définitif de l’Assemblée. Beaucoup des candidats de l’Union sacrée se retrouvent aujourd’hui sans opposition. Il y a eu beaucoup de candidatures écartées, le FCC estime qu’il y a un manque de transparence dans cette situation et un manque de démocratie, que répondez-vous à cela ?
Je pense que c’est une erreur politique très grave. Ce que le FCC a fait en ne voulant pas présenter de candidatures aux différents postes du bureau de l’Assemblée nationale, c’est une erreur et c’est une défaite déclarée à l’avance. Nous aurions bien voulu qu’il y ait effectivement des compétiteurs, qu’il y ait des challengers, mais lorsque vous demandez à vos députés de se présenter en indépendant, tout en sachant qu’un indépendant qui n’a pas l’investiture de son parti politique ne peut pas être admis comme candidat, c’est une façon tout simplement de refuser de participer à l’exercice démocratique.
Le FCC dit encore que la raison pour laquelle ils n’ont pas présenté de candidats, c’est parce qu’ils estiment que l’élection était faussée depuis le début puisque deux des membres du bureau d’âge, du bureau provisoire, qui organise cette élection, sont candidats dans la même élection et qu’il n’y a pas eu dans le chronogramme de temps prévu pour d’éventuels recours, que tout cela ne leur inspirait pas confiance.
Non, je pense qu’ils sont allés vite en besogne. Dès que les candidatures seront confirmées, ceux des membres du bureau qui seront retenus, ils vont se déportés, ça c’est clair. Personne même à l’Union sacrée de la nation n’acceptera que les mêmes personnes qui sont candidates puissent conduire le processus.