NORD-KIVU : LUTTE CONTRE L’IMPUNITE DES CRIMES GRAVES, LES JURIDICTIONS MILITAIRES APPELEES A REDOUBLER D’EFFORTS

De 2015 à 2021, 13 dossiers étaient identifiés auprès des juridictions militaires du Nord-Kivu comme dossiers prioritaires des crimes de masse dont seuls 4 dossiers ont pu connaitre une issue. Cette situation a malheureusement eu un impact négatif dans le milieu où ces crimes ont été commis car les victimes et les populations des zones touchées par les tueries estiment vivre dans une impunité totale.
Me Karpate TULINABO, Responsable de l’ADEC/DDH-RDC (Action pour le Développement, l’Education Civique et la Défense des Droits Humains en RDC), une organisation qui travaille dans la lutte contre l’impunité, fait référence au passage biblique « la justice élève la nation » pour interpeller le gouvernement et surtout les juridictions militaires du Nord Kivu à redoubler plus d’efforts dans le traitement des dossiers pour crimes internationaux.
Pour cet acteur engagé dans la lutte contre l’impunité : « Quand l’on fixe 13 dossiers et qu’au finish, dans l’espace de six ans, seuls 4 dossiers ont eu des décisions judiciaires, cela encourage l’impunité. Car dans bien de procédures, vous avez d’une part des présumés auteurs en détention et d’autres actifs, avec risque d’évasion ou de décès pour les détenus ; cas de l’affaire dite Noheri, dont l’un des prévenus aurait été libéré malencontreusement (ndlr). Traiter les dossiers en respectant le principe de célérité, permettra d’éviter pareil cas et augmentera la confiance des communautés (victimes) en la justice. Mais lorsqu’un procès n’aboutit pas, les victimes ne peuvent espérer à des réparations ; car pas de jugement, pas de réparation ».
Il est aussi important de pouvoir renforcer la communication sur la réponse judiciaire des cours et tribunaux. Pour Mr Etienne KAMBALE, Team leader dans la thématique Bonne gouvernance de la société civile du Nord Kivu ; il préconise que, les juridictions militaires du Nord Kivu mettent les bouchées doubles dans le traitement des dossiers qui sont pendants par devant elles et que les médias communautaires soient associées dans la communication des procès pour que tous les concernés soient informés de tout ce qui passe.
Les communautés attendent de la lutte contre l’impunité un effet significatif, de réduction de violations commises à leur encontre et la pacification de leur environnement, ce qui aujourd’hui demeure un défi important.
« Nous pensons que la justice est un outil pour ramener la paix mais si cet outil traine les pieds dans la mission noble qui lui est assignée, elle risque d’encourager la dégradation de la situation sécuritaire dans certains coins de la province comme à Buleusa (territoire de Lubero), Pinga (territoire de walikale) et dans d’autres milieux ou l’impunité règne en maitre. La justice doit travailler avec les leaders communautaires et la société civile dans le cadre de la vulgarisation des décisions de justice», renseigne Mr. Etienne KAMBALE.
QU’EST-CE QUI EST A LA BASE DE LA LENTEUR ?
Pour autant, beaucoup de dossiers prioritaires ne connaissent pas d’avancées dans leur instruction. Les années 2019 et 2020 se sont caractérisées par un ralentissement notoire des poursuites judiciaires en matière de crimes internationaux.
Les raisons sont multiples, dans certains dossiers, le manque d’indépendance de la justice et la faible coopération du commandement militaire ont également constitué des facteurs de blocage des poursuites.
Pour certains acteurs qui œuvrent dans la lutte contre l’impunité en province, la volonté politique et manque d’intérêt, sont des véritables maux à la base de la lenteur observée dans le traitement des dossiers de crimes de guerre et crime contre l’humanité dans l’est de la RDC.
«Certaines personnes n’ont pas intérêt à accélérer les procès de crimes de guerre et crime contre l’humanité. Les influences politiques et/ou militaires, à différents niveaux faciliteraient cet état de chose. Ce qui encourage d’autres seigneurs de guerres à commettre plus d’exactions sur les populations civiles, espérant à leur tour bénéficier un jour de faveurs politiques.», souligne Me. Karpate TULINABO.
Les acteurs judiciaires, quant à eux, estiment que les raisons qui entrainent le retard dans le traitement des dossiers sont ailleurs. Dans un échange le 06/04/2021, entre les professionnels judiciaires et les journalistes, formés par RCN J&D sur la justice pénale en matière de crimes internationaux, le premier président de l’ex Cour Militaire Opérationnelle insistait sur la situation sécuritaire au Nord-Kivu et l’inaccessibilité des lieux de commissions des infractions pour l’organisation des audiences foraines.
« Ce n’est ni le problème de moyens, ni la volonté politique, la province du Nord-Kivu traverse une situation particulière suite aux multiples groupes armés ; cette situation ne rend pas facile l’accès à certains milieux pour les investigations et la tenue des audiences foraines. Mais aussi, les dossiers de crimes de droit international, mettent généralement en cause plusieurs victimes, témoins et auteurs ; ce n’est pas en un seul jour que le ministère public peut boucler son travail.», précise le colonel Zingi.
La lutte contre l’impunité est intimement liée au rétablissement de la confiance de la population au système judiciaire et, dès lors, à la réhabilitation de l’Etat de droit. Cependant ces quelques procès qui ont connu une issue, sont insignifiants au regard de la magnitude des dossiers répertoriés pour la province du Nord Kivu.
Le risque est élevé que beaucoup de crimes de droit international ne fasse jamais l’objet des poursuites et dans d’autres cas, les enquêtes et les procédures judiciaires piétinent pendant des années. En plus des exactions subies et endurées, les victimes et les communautés sont de nouveau victimes du déni de leur droit à la justice et à la réparation.
Cette situation d’impunité, a un impact négatif sur la consolidation de la paix dans la province, toujours en proie à des nombreux conflits et violences, et le renforcement de l’Etat de droit. Les principes fondamentaux d’égalité des citoyens devant la loi, du droit au procès équitable, d’accès à la justice et aux réparations doivent guider les acteurs judiciaires dans leur travail de rendre justice.
Article rédigé avec le soutien et l’appui financier de RCN Justice & Démocratie.
Par : Valéry MUKOSASENGE